Alors que les autorités françaises et européennes réglementent de plus en plus les achats publics afin de pousser les produits respectueux de l’environnement, Le Papetier fait le point sur les innovations du marché des consommables d’impression en la matière.

Loi Agec, Green Deal européen, marches pour le climat, etc. Il est indéniable que la préoccupation écologique touche aujourd’hui toutes les strates de la société. Quel que soit le secteur, industriels, revendeurs et acheteurs sont fortement incités à revoir leurs habitudes pour consommer moins et mieux. A commencer par les services publics, qui doivent désormais appliquer à leurs achats un quota de produits issus du réemploi, de la réutilisation ou comprenant des matières recyclées : 20% pour les toners, cartouches d’encre et fournitures de bureau. De même, de plus en plus de grandes entreprises intègrent l’achat de références écoresponsables à leurs politique RSE. Si les plus petites structures et le grand public sont encore timides sur le sujet, la tendance va s’imposer dans les années à venir car chacun veut, à sa manière, lutter contre le réchauffement climatique. Dans ce contexte, quel devenir pour les articles qui ont, par nature, une durée de vie limitée, comme les consommables d’impression ? Différentes initiatives sont déjà mises en œuvre.

Afin de réduire l’utilisation de plastique dans la fabrication des contenants, Epson mise sur des poches d’encre

L’écoconception

Commençons avec la conception des consommables d’impression. Les industriels n’ont pas attendu les textes de loi pour réfléchir à des solutions qui réduisent l’impact de la production sur l’environnement. « HP s’est engagé pour une baisse de 30% de ses émissions d’ici 2025, et souhaite atteindre la neutralité carbone sur l’activité des consommables en 2030. L’ensemble du cycle de vie des produits est donc pris en compte dans une démarche d’écoconception. Ils sont pensés pour être recyclables ou intégrer des matières recyclées », explique Florent Vauchelle, business marketing manager. L’usage de plastiques recyclés pour les contenants est répandu, ce qui a néanmoins demandé quelques adaptations du côté de la chaine de fabrication. « Chez Lexmark, le taux de plastique recyclé est d’en moyenne 37% sur les consommables. Plusieurs années de recherche et développement ont été nécessaires pour arriver à cette dose tout en garantissant la qualité et la régularité de l’approvisionnement, car le plastique recyclé n’a pas les mêmes propriétés physiques que le plastique neuf », précise Karl Trouillon, chargé du Cloud Services marketing et demand generation. Toujours dans ce souci de diminuer la quantité de matière, d’autres revoient complètement leurs contenants, à l’image d’Epson : « Pour les imprimantes à réservoir, nous proposons des conditionnements basiques, sans matières complexes ni composants électroniques, afin d’être le moins impactant pour l’environnement. Dans le B to B, nous avons aussi remplacé les cartouches par des poches. En plus de nécessiter moins de plastique qu’une coque rigide, leur encombrement faible fait faire des économies au niveau logistique », décrit Thierry Bagnaschino, directeur marketing de la filiale française. Concernant le contenu, encres et poudres de toners, des recherches sont en cours pour se diriger vers davantage de ressources renouvelables.

Chez HP, EvoCycle est une cartouche écoconçue avec 76% de pièces réutilisées et de plastiques recyclés.

Une utilisation plus économe

Dans un système d’impression, les consommables fonctionnent en duo avec l’imprimante, c’est pourquoi l’écoconception des cartouches et toners va forcément de pair avec des machines plus économes en encre et en énergie notamment. Les industriels ont d’abord augmenté la capacité des consommables, dans une logique de réduction des déchets plastiques émis par l’impression (moins de changements de cartouches signifie moins de produits consommés, donc moins de déchets). Canon a ainsi « développé des machines avec de plus grands contenants pour limiter notre recours au plastique. Il est plus technique qu’il n’y parait d’avoir une grande capacité tout en gardant une bonne qualité d’impression », note le directeur marketing Philippe Pelletier. Sur le marché du jet d’encre, de plus en plus de fabricants proposent également des imprimantes à réservoirs rechargeables (comme Epson avec sa gamme EcoTank). Un bidon d’encre remplaçant plusieurs années de cartouches, les déchets plastiques baissent de manière significative. Pour le laser, l’enjeu est la chauffe du toner : « Dans la phase d’utilisation, la question de l’énergie consommée est importante. Nous avons adopté une formulation de toner spécifique qui réagit à basse température, sans préchauffage du four », remarque Karl Trouillon pour Lexmark.

Collecter et recycler

Une question centrale dans la transition écologique du monde des consommables d’impression est la fin de vie des cartouches et toners. Pour s’assurer de ce que deviennent ces déchets bureautiques, de nombreux réseaux de collecte sont présents sur le territoire, à l’initiative d’acteurs de l’économie solidaire, de distributeurs, et d’industriels, comme le raconte Sylvie Boisanté, responsable qualité et développement durable chez Brother France : « Nous faisons appel à tout un panel de systèmes de collecte : des étiquettes prépayées pour un retour direct à l’usine pour les particuliers ; des urnes pour les entreprises avec enlèvement sur site ; puis localement, nous avons des partenariats avec des acteurs de l’économie sociale et solidaire grâce à Conibi. » Créé en 2000, ce consortium réunit près d’une vingtaine de professionnels de l’impression pour organiser la récupération des consommables usagés dans les entreprises. « Nous sommes plusieurs industriels à avoir participé à la mise en place, dans le B to B, de la filière de collecte Conibi, en vue de donner une seconde vie aux cartouches et toners par le re-remplissage ou par la valorisation des matières », témoigne Philippe Pelletier pour Canon. « Les parcs d’imprimantes n’étant pas homogènes dans les entreprises, ce type de collecte multimarques est plus efficace et pratique pour les utilisateurs », complète Karl Trouillon (Lexmark).

Les spécialistes de la remanufacturation participent également au traitement des produits usagés. « Nous posons des bornes dans les entreprises et les supermarchés. Une fois pleines, elles sont centralisées dans notre usine, où une équipe d’une vingtaine de personnes trie la collecte le plus finement possible, afin de nous fournir la matière première pour notre production. Tout ne peut cependant pas être réemployé, les cartouches abîmées ou les compatibles neuves par exemple », explique Laurent Berthuel, directeur général de Printerre. Ce travail manuel et fastidieux, qui permet de diriger les cartouches et toners vers leur prochaine destination (le réemploi ou le recyclage), est peu connu des utilisateurs, c’est pourquoi il est bon de communiquer auprès d’eux. « Après la collecte, nous proposons des bilans matières afin que les clients réalisent ce que deviennent ces cartouches, qu’elles soient remanufacturées ou que leurs matériaux soient envoyés vers les filières de recyclage adaptées », souligne Gerwald van der Gijp, directeur général d’Armor Print Solutions. En effet, les produits ne pouvant pas être remanufacturés sont démantelés pour que chaque matière soit recyclée (les plastiques sont souvent refondus pour fabriquer de nouveaux objets) ou détruite de manière à éviter une pollution liée à ces déchets particuliers.

 
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En 2021, le consortium Conibi a trié 3,51 millions de cartouches, soit 1 990 tonnes. Grâce à cette collecte, 354 tonnes de consommables ont été produites, ainsi que 886 tonnes de matières premières secondaires et 1 124 MWh d’électricité. (Source : Conibi)

 

Une seconde vie

Une fois collectés et triés, que deviennent les consommables ? Une partie entre dans les circuits de remanufacturation, c’est-à-dire leur réparation et leur réutilisation par une marque tiers. Le spécialiste français du secteur Armor plaide pour cette pratique : « Remanufacturer, ce n’est pas seulement reremplir une cartouche. Après avoir trié les produits pour voir quelles pièces pouvaient être réemployées, nous refabriquons une nouvelle cartouche compatible en réutilisant le plus de composants d’origine possible. Nous estimons qu’un produit peut être remanufacturé jusqu’à cinq fois en fonction de la limite de vie des éléments », explique Gerwald van der Gijp. Un gros argument est la récupération des coques qui réduit la production de nouveaux contenants, et donc l’usage de nouveau plastique. Chez Printerre aussi, le reconditionnement compte une multitude d’étapes. « Selon les modèles et l’usure, nous démontons, nettoyons, changeons certaines pièces, remontons les cartouches, les remplissons, les testons afin de proposer une qualité d’impression similaire à un produit neuf », résume Laurent Berthuel. Pour bien se différencier des producteurs de cartouches compatibles polluantes (souvent venues d’Asie), les remanufactureurs sollicitent des labels comme NF Environnement, qui dispose d’un référentiel spécifique pour cette catégorie de produits. « Les labels certifient la véracité de nos démarches R & D et établissent des standards pour le marché. Par exemple, un point important de la norme NF est de ne pas avoir plus de 25% d’éléments nouveaux sur la cartouche pour qu’elle soit considérée comme reconditionnée », rappelle le dirigeant de Printerre. Pour toujours plus de transparence, les remanufactureurs européens ont même créé leur propre label, Etira. Les marques certifiées (comme Owa d’Armor) peuvent appliquer sur leurs références un hologramme assurant qu’elles respectent les normes en termes de matériaux, de mode de fabrication, de niveau de service, de traitement des déchets, etc.

Les produits ne pouvant pas être réutilisés sont démantelés pour revaloriser chaque matière. ©Armor Print Solutions

Retour en rayon

Une autre partie des consommables usagés est retournée aux fabricants d’origine, qui traitent alors ses cartouches et toners afin de réduire la quantité de déchets, généralement en favorisant le réemploi total ou partiel. Si les secrets industriels restent bien gardés, les OEM lèvent peu à peu le voile sur leurs pratiques. « Dans une optique circulaire, nos consommables sont réutilisés ou envoyés dans des filières de gestion des déchets selon leur état. Après un contrôle qualité, les cartouches sont reremplies, puis testées avant d’être remises en circulation. Un consommable peut être réutilisé jusqu’à 10 fois. Chacune de nos cartouches a d’ailleurs un numéro de série pour sa traçabilité tout au long de son cycle de vie », explique Karl Trouillon pour Lexmark. Chez HP, « nous démontons la cartouche et séparons les différents matériaux. Le plastique est refondu et remoulé pour créer de nouveaux contenants. Sur le laser, nous récupérons également certains éléments », observe Florent Vauchelle. Fin 2021, la marque a ainsi lancé EvoCycle, un toner fabriqué à base de 76% de pièces réutilisées et de plastiques recyclés (produite en Bretagne). Même manière de procéder pour Canon où « les cartouches collectées sont envoyées à Canon Bretagne pour la réutilisation ou la refabrication. Ce qui en résulte n’est pas un produit d’occasion, c’est un produit acteur de l’économie circulaire », affirme Philippe Pelletier. Brother voit une vertu supplémentaire au renvoi des cartouches usagées chez leur producteur : « Nous remanufacturons les consommables collectés ou récupérons une partie de la matière pour la réintégrer dans nos circuits de production. Ce retour d’expérience nous permet aussi de voir ce qui peut encore être amélioré dans leur conception », constate Sylvie Boisanté.

Un travail collaboratif

La mise en œuvre de ces approches écologiques a un coût lié à plusieurs facteurs : le développement de nouveaux matériaux, la rémunération des collecteurs, le traitement manuel des produits, les recherches pour rendre les process plus verts, sans oublier la reconception des packagings. Ce coût pourrait être abaissé en accélérant le mouvement sur la collecte. Pour Florent Vauchelle, « le défi est d’améliorer les flux de collecte et de partager cela avec les clients. Plus nous collecterons, plus nous produirons, ce qui permettra des économies d’échelle ». Trop de consommables finissent encore à la poubelle. Confier ses cartouches et toners à des réseaux spécialisés devrait être un réflexe pour les utilisateurs, particuliers ou professionnels. C’est là que les distributeurs ont une responsabilité. « Nous ne sommes plus en mode acquisition mais en mode service : la gestion du consommable et de sa fin de vie doit faire partie du service délivré au client », considère Karl Trouillon. En effet, la collecte doit rejoindre l’offre de services des revendeurs, avec une communication forte afin de mobiliser les consommateurs, car pour être efficaces, les démarches circulaires doivent avant tout être collaboratives, impliquant tous les maillons de la chaîne.

Camille Anoukoum ©Lyreco

 

« Chez Lyreco, les produits écoresponsables ont un label maison »
Camille Anoukoum est cheffe de produit chez Lyreco France.

L’environnement est au cœur de plus en plus de politiques d’achats. Comment avez-vous adapté votre offre ?
Chez Lyreco, cette question est stratégique depuis plusieurs années déjà, avec une large gamme de consommables remanufacturés par exemple. Cela s’inscrit dans le projet global d’avoir 90% de notre chiffre d’affaires réalisé avec des produits écoresponsables d’ici 2026.

Concrètement, au rayon impression, comme cet engagement se manifeste-t-il ?
Nous proposons des imprimantes qui consomment moins, à réservoirs rechargeables ou haute capacité. Il y a des produits jet d’encre très efficaces en termes de coût, de performance, de consommation d’énergie et de diminution des déchets. Ils ont du mal à se faire une place dans le B to B qui reste très laser, néanmoins ils représentent un volume de plus en plus significatif.

Cela influence-t-il le marché des consommables ?
Structurellement, la consommation de cartouches est en décroissance dans le B to B. Ces machines participent surement à la baisse puisque l’on remplace moins souvent les consommables.

Comment le facteur écologique joue-t-il sur sont vos référencements ?
L’écoconception et la remanufacturation font évidemment partie de nos critères de choix puisque, chez Lyreco, les articles écoresponsables ont un label maison : l’arbre vert. Nous sommes aussi sensibles aux labels officiels : Ecolabel, Blue Angel, Nordic Swan, etc. De gros efforts ont été faits par les constructeurs pour l’intégration de matériaux recyclés dans les produits et la réduction des volumes de déchets. Sur le neuf, il n’y a pas le côté circulaire qu’il y a sur le remanufacturé, mais les industriels sont conscients des progrès à faire.

La demande est-elle au rendez-vous ?
C’est paradoxal. Les clients demandent des produits plus verts… mais ne les achètent pas ! Je pense que nous sommes à un tournant : les appels d’offre comportent des critères RSE mais ils sont en cours de déploiement, donc leur effet ne s’en ressent pas encore sur les ventes.

Ce dossier est initialement paru dans Le Papetier de France n°853, Mai-Juin 2022.