Depuis deux ans, les tarifs des papiers reprographiques s’enflamment. Plusieurs facteurs, industriels et conjoncturels, participent à ces augmentations de prix, comme l’expliquent les acteurs de la filière.

Chacun l’aura constaté, les durées de validité des grilles tarifaires des papiers bureautiques sont de plus en plus courtes, et les prix toujours plus élevés. Pourtant, le secteur était plutôt stable avant la crise sanitaire : « Avant la Covid, nous observions des cycles avec des hausses et des baisses qui étaient essentiellement liées aux variations du cours de la pâte à papier », se souvient Jacques Joly, directeur général de Fabriano. La pandémie a freiné la consommation de papier chez les particuliers comme dans les entreprises et les administrations, mais elle ne justifie pas les augmentations de prix successives depuis 2021. En effet, si les volumes continuent de décroître, les ventes en valeur flambent : +20,7 % entre janvier et août 2022 selon le baromètre GfK pour l’Ufipa. Quels évènements ont mené à cette situation ? « Nous nous trouvons devant un cadre inédit, avec une concomitance de plusieurs facteurs (pénurie, prix qui s’envolent, etc.) qui nous contraignent à multiplier les hausses pour ajuster nos tarifs à nos coûts de fabrication », explique François Thumser, directeur des ventes chez Clairefontaine. Les acteurs de la filière identifient ainsi deux causes principales aux augmentations, l’inflation généralisée et le déséquilibre entre l’offre et la demande.

L’inflation à tous les niveaux

Dans un contexte inflationniste global, l’industrie papetière subit les fluctuations de prix comme beaucoup d’autres. Pâte à papier, adjuvants, etc. Encore plus qu’auparavant, l’approvisionnement en matières premières est un vrai souci pour les fabricants. « En 2021, la hausse des tarifs de la pâte à papier a été constante. Début 2022, nous envisagions un léger recul, mais nos espoirs ont été effacés par la grève chez un des plus gros producteurs de pâte, l’arrêt ou la transformation de certaines usines, et le coût de l’énergie », décrypte François Thumser. La situation est accentuée par le taux de change euro/dollar défavorable aux entreprises européennes, le cours de la pâte à papier étant négocié en dollars.

Au-delà des matériaux, le secteur souffre donc surtout de la crise énergétique, aggravée par le conflit ukrainien. « Aujourd’hui, c’est l’énergie le principal élément perturbateur », confirme Jacques Joly pour Fabriano. La papeterie est effectivement une très grande consommatrice d’électricité et de gaz, notamment pour le séchage du papier. « Notre industrie est particulièrement énergivore puisque, pour simplifier, nous partons de 5 % de pâte et 95 % d’eau, pour arriver à 95 % de pâte et 5 % d’eau », rappelle Patrice Charpentier, directeur général France de The Navigator Company. Tous les intervenants du marché s’accordent pour dire que cet état de fait devrait persister dans les mois à venir, le prix de l’énergie continuant à grever les coûts de fabrication.

Décalage entre l’offre et la demande

En plus de l’inflation causée par les crises sanitaire et géopolitique, la famille du papier reprographique est impactée par une offre qui ne concorde pas avec la demande. La catégorie étant structurellement en repli depuis le développement du numérique dans les années 2000, les industriels ont mis en place des stratégies pour se désengager de ce secteur et se concentrer sur d’autres activités plus porteuses. « La grande évolution dans le monde papetier est la cession ou le changement de destination des outils de production vers des marchés plus rentables », constate Jacques Joly. Ce mouvement a été accéléré par la crise sanitaire : Double A, Stora Enso, Sappi… Autant de groupes internationaux qui ont décidé de faire migrer leurs investissements vers l’emballage ou la recherche en matériaux innovants (lire notre encadré) plutôt que de conserver leur production graphique. La quantité de papier bureautique fabriquée en Europe s’est donc fortement réduite. Seulement la demande, elle, n’a pas diminué dans la même mesure. Malgré une moindre consommation due à la digitalisation des échanges, la reprise économique a accru les besoins dans les circuits B to B. « Depuis quelques mois, l’offre a reculé d’environ 12 %, alors que l’érosion de la demande se situe aux alentours de 4 ou 5 % par an. L’effet ciseau généré fait grimper les prix », analyse Patrice Charpentier pour The Navigator Company.

Du mouvement dans l’industrie européenne

Après avoir annoncé en début d’année son souhait de se désengager de l’activité papier graphique pour se concentrer sur l’emballage, Stora Enso a cédé deux de ses usines en septembre : l’unité de Maxau en Allemagne au Groupe Schwarz (Lidl), et le site de Nymölla en Suède à Sylvamo (ex-International Paper). D’autres accords sont en cours pour Hylte et Anjala en Finlande. Même stratégie pour le sud-africain Sappi, qui vend ses usines de Maastricht aux Pays-Bas, Stockstadt en Allemagne et Kirkniemi en Finlande au fonds d’investissement Aurélius (qui avait acquis Office Depot et Viking en 2017). Par ailleurs, en octobre, Sylvamo a transmis son unité de production russe à Pulp Invest Limited Liability Company (société créée par le management du site). Enfin, les activités britanniques d’Arjowiggins, reprises par des membres de la direction il y a trois ans mais victimes des crises successives, ont été placées sous administration judiciaire. L’avenir de deux sites historiques est en jeu : Stoneywood-Aberdeen en Écosse, ouverte depuis 1770, et Chartham en Angleterre, créée en 1738.

Continuer d’innover

Comment le secteur peut-il réagir dans ce contexte ? Avec des coûts de production qui vont rester élevés et une consommation en baisse mais dynamique, les prix devraient garder leur niveau pendant plusieurs mois. Pour les industriels, l’enjeu est d’innover pour justifier ces nouveaux tarifs par la valeur ajoutée des produits. « Les tensions du marché rendent les utilisateurs plus sélectifs, ils ont tendance à rechercher de la qualité. Il faut essayer de niveler l’offre vers le haut », pense Patrice Charpentier. Point de vue partagé par Jacques Joly : « Nous devons nous adapter pour utiliser moins d’énergie, travailler la stabilité de nos productions et assurer la sécurité de nos équipements. L’innovation est indispensable pour la survie de notre industrie. » D’autant plus que la clientèle doit aussi changer ses critères d’achat. Le prix, qui a explosé chez toutes les marques, n’est plus le facteur n° 1 dans la relation commerciale. « Désormais, c’est la fiabilité qui compte, après la qualité. Échaudés par certaines pénuries, les clients préfèrent s’adresser à des fournisseurs qui les rassurent avec des stratégies lisibles sur le long terme », remarque le directeur général France de The Navigator Company. À la suite de certains défauts d’approvisionnement, les entreprises adoptent des politiques d’achat privilégiant les partenariats, avec des taux d’engagement et de service importants. Ce phénomène favorise les papetiers bien implantés dans leurs territoires. La logistique est également un élément déterminant dans ce rapport de confiance. « Le prix sera toujours un sujet mais actuellement, la principale problématique est la disponibilité et le transport des marchandises. Produire en France est alors un avantage », précise François Thumser pour Clairefontaine.

Une communication indispensable

Devant le manque de visibilité quant à l’évolution de l’environnement économique sur la fin de l’année et l’exercice 2023, la filière papetière n’a malheureusement que peu de leviers pour envisager un retour à des prix plus bas. Dans cette équation délicate, les revendeurs sont une pièce maîtresse dans la compréhension de la situation par les clients finaux. Même si le marché s’attend à un recul général de la consommation dans les circuits B to C, les ventes B to B peuvent maintenir la demande en ramettes. Mais les distributeurs, en particulier les spécialistes du bureau, devront une nouvelle fois faire preuve de beaucoup de pédagogie pour que les acheteurs saisissent les raisons des hausses de prix, à savoir des arbitrages nécessaires à la pérennité de l’industrie du papier, et non des augmentations de marges inconsidérées.

« Plusieurs facteurs ont pesé sur la structure de coût du papier »

Paul-Antoine Lacour est délégué général de Copacel, l’Union française des industries des cartons, papiers et celluloses.

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Copacel

Que dire du marché des papiers graphiques avant la crise sanitaire ?

Avec la dématérialisation des usages, la tendance était à la réduction de la consommation depuis le milieu des années 2000. L’érosion était toutefois moins prononcée pour les papiers bureautiques que pour le papier journal. Cette situation s’accompagnait de prix plutôt bas.

Comment le marché a-t-il réagi à l’épisode Covid ?

Les confinements ont conduit à une baisse drastique de la consommation de papiers bureautiques avec des salariés en télétravail et des échanges interentreprises au ralenti. Puis nous avons vu un rebond lors du redémarrage de l’activité économique au second semestre 2020, et encore davantage en 2021.

C’est le moment où les prix ont commencé à augmenter…

Entre la période post-Covid et aujourd’hui, plusieurs facteurs ont pesé sur la structure de coût du papier : la forte hausse du prix des matières premières, notamment la pâte à papier, mais aussi les produits chimiques pour traiter les fibres ; et l’augmentation faramineuse du coût de l’énergie, que ce soit le gaz ou l’électricité. La deuxième question est l’équilibre offre/demande. La reprise économique dans les pays développés a tonifié la demande en non couché sans bois, tandis que l’offre s’est contractée avec la conversion ou la cession d’unités de fabrication au profit de l’emballage (catégorie en développement par rapport à une famille graphique structurellement décroissante). Ce basculement des capacités de production européennes provoque, dans l’immédiat, un effet de tension.

Comment envisager l’avenir ?

Il est difficile de prévoir mais nous pouvons raisonnablement anticiper que nous resterons sur des coûts de revient élevés aussi longtemps que les problèmes géostratégiques et d’énergie n’auront pas été résolus. Nous entrons également dans une période de diminution générale de la consommation, et cela affectera forcément les produits papetiers.

Dossier initialement paru dans Le Papetier de France n°855, Octobre-Novembre 2022. 

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